Pauline Cordier
Entre-deux
Vernissage le vendredi 05 avril 2024 dès 18h00
Vernissage le vendredi 5 avril dès 18h
exposition visible jusqu’au 28 avril
Ouverture samedi et dimanche de 13h–17h
ou sur rdv: info@standard-deluxe.ch
… “Everything in the world is a shape. It’s so mundane and so ubiquitous: every edge, corner, blob, form, silhouette, or negative space is something you have to navigate to get through a room. If you think of shape as figure/ground, then every shape is a figure and the ground in the whole world. Shapes are how you make distinctions, get the lay of the land, or even tell time.” …
Entre-deux ou la face cachée des choses
“[…] everything in the world is a shape. It’s so mundane and so ubiquitous: every edge, corner, blob, form, silhouette, or negative space is something you have to navigate to get through a room. If you think of shape as figure/ground, then every shape is a figure and the ground in the whole world. Shapes are how you make distinctions, get the lay of the land, or even tell time.”1
Une goutte d’eau qui s’échappe d’une verrière fissurée et remplit le bassin au sol (Flot-fuyant, Salle Crosnier, Genève, 2019), un rideau de perles bétonnées qui doit être franchi comme aux entrées des maisons (Tamis misat, Galerie A.Romy, Genève, 2021), du sel qui se cristallise sur la toile (Copie non conforme, Circuit, Lausanne, 2021), des pigments photochromiques qui changent de couleur avec la lumière (Blurring time, Kunstkaten, Winterthour, 2023) ou des miroirs en inox martelé qui reflètent les arbres environnants (Variations, œuvre dans l’espace public, Lancy, 2023). Chaque œuvre de Pauline Cordier est pensée pour s’inscrire et s’immiscer, jusque dans leurs plus petits détails, dans le lieu qui les abrite. Elles pointent du doigt détails architecturaux, fonctions ou histoires. Elles leur font écho ou les prolongent. Mais elles soulèvent aussi des interrogations. Que se passe-t-il quand le temps défile? Quelles formes les temporalités peuvent-elles prendre? Comment donner corps aux choses dissimulées?
Avec Entre-deux, Pauline Cordier ne déroge pas à ses propres règles. Elle raconte le lien au lieu. L’artiste prend comme point de départ l’histoire de Lausanne, où pierre tendre et cours d’eau en ont dessiné la topographie, et l’architecture de l’espace d’exposition. Il dissimule la roche de la ville et abrite une rivière. Standard/deluxe s’insère entre creux et collines, entretenant une relation secrète aux éléments naturels qui l’entourent. Pour révéler cette relation intime, pour donner à voir des formes invisibles et témoigner de fonctions caduques, l’artiste met en place un dévoilement progressif. Avec des grilles d’aération jaune fluo tout d’abord. En les disséminant sur les murs, Pauline Cordier reproduit et dédouble celles déjà présentes, qui permettent à la roche de respirer. Et avec un couvercle de regard argenté. Moulé sur celui existant et déposé à la surface d’un nouveau sol blanc recréé par l’artiste, il suggère l’écoulement de l’eau et évoque une présence passée. On se souviendrait alors presque que la matière est vivante et mouvante. Puis enfin, avec une frontalité certaine, l’artiste dépose au centre de l’espace trois formes translucides. Nos corps sont confrontés à ces objets qui, en imitant la matérialité de la roche, nous donnent à voir ce que l’on n’a jamais su qui existait. Ou que l’on a simplement oublié et laissé derrière. L’aspect des sculptures, recouvertes de pigments photochromiques, évolue à chaque instant: la lumière qui pénètre par la baie vitrée les fait osciller du gris clair au gris sombre. Le soleil les transforme mais les vide de leurs propriétés physiques : plus le temps défile, plus les pigments meurent.
Ce sont ainsi les fragments de temporalités plurielles que Pauline Cordier convoque à travers ses sculptures. Elle nous suggère ce qui reste et ce qui s’est passé. Elle matérialise des éléments impalpables. Elle sculpte le temps et nous invite à s’y confronter avec elle. Elle nous signale la face cachée des choses.
– Eleonora Del Duca
- Amy Sillman, «Further Notes on Shape», in Charlotte Houette, François Lancien-Guilberteau et Benjamin Thorel (éd.), Faux Pas. Selected Writings and Drawings of Amy Sillman, After 8 Books, Paris, 2020, p. 77-78.